Nos animaux de compagnie ont-ils une mémoire ?
Nos animaux ont-ils une mémoire similaire à la nôtre ? Ont-ils la faculté de sentir le temps qui passe ? Et les poissons rouges ont-ils une mémoire très courte comme le souligne l’expression “mémoire de poisson rouge” ? A l’occasion de la journée mondiale des animaux – 4 octobre 2022 – Robert Jaffard, neurobiologiste spécialisé dans l’étude de la mémoire et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires a accepté de nous éclairer sur la question de la mémoire animale.
Toutes les espèces vivantes possèdent une mémoire, parfois très spécialisée, qui les aide à vivre et à survivre dans leur environnement. Ainsi, les tortues marines traversent les océans sur parfois des centaines de kilomètres pour retrouver la plage où elles sont nées. Les écureuils cachent leur nourriture dans le sol à de très nombreux endroits pendant la belle saison, pour les utiliser pendant l’hiver ou quand ils en ont besoin. Ils sont capables de retrouver leurs trésors, même si on supprime les odeurs associées aux cachettes.
Il est, bien sûr, difficile d’interroger les souvenirs chez les animaux, mais il est possible d’évaluer les différentes composantes (spatiales, temporelles, relationnelles) sur lesquelles s’appuie cette mémoire, permettant de se rappeler qui faisait quoi et où, et ce, même si une situation ne s’est produite qu’une seule fois. Ainsi, les chiens comme les chats sont capables de repérer parmi une série de gamelles celles où ils ont déjà mangé lorsqu’on les leur présente 10-15 minutes après.
Par ailleurs, chez l’homme, la mémoire épisodique (celle des moments personnels vécus et celle qui nous permet de nous situer dans le temps et l’espace et, ainsi, de se projeter dans le futur) met en jeu les mêmes aires cérébrales que celles impliquées dans la projection vers le futur et dans le « voyage mental vers autrui », lui donnant la capacité de comprendre les réactions de l’autre. Certaines expériences récentes sont en faveur de l’existence de cette même faculté chez nos compagnons à quatre pattes. Une équipe italienne a ainsi montré en 2015 que les chats décodent les émotions ressenties par leur maître et s’inspirent de son attitude pour savoir quelle conduite adopter face à un objet inconnu, comme un ventilateur. Des chercheurs japonais ont également démontré chez le chien une aptitude à juger si un humain est fiable ou non, et en fonction de cet avis, à accepter ou non de la nourriture de sa part.
Les chiens et la perception du temps
On dit souvent que les animaux, et notamment les chiens, n’ont pas la perception du temps qui passe. Cependant, les chiens se distinguent par une olfaction exceptionnelle, et c’est celle-ci qui pourrait leur permettre de percevoir le temps via les odeurs liées aux événements passés qui s’estompent petit à petit. Ainsi, celle de leur maître diminuerait après son départ, jusqu’à atteindre un certain seuil que le chien aurait associé à l’heure habituelle de son retour.
Idée reçue : le poisson rouge aurait une mémoire de 9 secondes
Cet adage est faux. Le poisson rouge possède en réalité une mémoire à long terme très efficace de plusieurs mois. Il aurait probablement une mémoire relationnelle, spatiale et même émotionnelle (mémoire de la douleur et du plaisir). Par exemple, les femelles de Amatitlania siquia, une espèce de poissons monogames, ont des “chagrins d’amour” qui les rendent “pessimistes”. Les structures cérébrales en cause sont très semblables à celles que l’on trouve chez les autres espèces de vertébrés, y compris l’espèce humaine.
« À sa naissance au début du siècle dernier le “béhaviorisme” voulait expliquer le comportement, y compris humain, en ignorant les états mentaux. Par la suite, et notamment au cours des deux dernières décennies, les approches scientifiques ont inversé cette situation. La vie mentale, les connaissances, et les affects des animaux ont été analysés chez la plupart des espèces. Prenons deux exemples. En 2002, WA Roberts considérait encore que, contrairement à l’homme, les animaux n’avaient aucune notion du temps, étaient “prisonniers du présent” et donc incapables de s’appuyer sur leurs souvenirs et leurs connaissances pour planifier leur futur. Des données comportementales, appuyées par des analyses du fonctionnement cérébral ont montré qu’il n’en était rien, notamment chez les mammifères et les corvidés capables d’anticiper et d’organiser leur environnement futur. Deuxième exemple, le “pessimisme”. Il n’est pas l’apanage de la femelle de poisson monogame délaissée. Il concerne aussi l’état affectif des chiens victimes d’une rupture de lien social et, de façon plus générale, de la plupart des espèces qui, sociales ou non, deviennent pessimistes dès que leur bien-être est compromis, notamment par le stress. Néanmoins, même si certains comportements animaux sont fréquemment qualifiés d’intelligents (par exemple “tromper” un congénère ou un individu d’une autre espèce) on doit toujours rechercher une explication dans les lois de l’apprentissage élaborées par le béhaviorisme » explique Robert Jaffard, neurobiologiste spécialisé dans l’étude de la mémoire et membre de l’Observatoire B2V des Mémoires.
À propos de l’Observatoire B2V des Mémoires
Créé en avril 2013 par le Groupe de protection sociale B2V, l’Observatoire B2V des Mémoires étudie la mémoire sous toutes ses formes : individuelle, collective, numérique… Son Conseil scientifique réunit d’éminents chercheurs en neurosciences et sciences humaines. Les actions menées au sein de ce « laboratoire sociétal » visent à favoriser la prévention à travers deux grands axes : soutenir la recherche et diffuser au plus grand nombre les avancées de la science en vulgarisant l’information scientifique pour faciliter sa compréhension.
Pour ne citer que quelques actions menées par le fonds de dotation Observatoire B2V des Mémoires : la bourse doctorale ; la publication de livres sur le thème de la mémoire ; l’événement grand public La Semaine de la Mémoire ; le site ludo-éducatif memorya.org ; l’Accélérateur des Mémoires au service de l’innovation sociale.