Europe : le “steak végétal” dans la tourmente
l’amendement anti-dénominations carnées divise le marché alimentaire
L’onde de choc est immense pour les acteurs du végétal. Le Parlement européen vient d’adopter un amendement historique interdisant l’usage des dénominations « viande » pour les produits à base de protéines végétales. Avec 355 voix pour et 247 contre, ce vote, qui s’inscrit dans le cadre de la réforme de la PAC et de la révision de l’Organisation commune de marché (OCM), pourrait profondément redessiner les contours du marché alimentaire européen. Les termes familiers de « steak végétal », « saucisse végétale » ou encore « nuggets végétariens » sont désormais menacés, suscitant l’inquiétude d’un secteur en pleine croissance.
Un vote qui fait polémique
L’adoption de cet amendement au Parlement européen, porté par la députée française Céline Imart, est le fruit d’un long combat politique et symbolique entre les filières animales et végétales. Pour ses promoteurs, il s’agit d’une mesure de protection du consommateur et des dénominations traditionnelles liées à l’élevage. Les défenseurs de la viande estiment qu’un « steak végétal » ou une « saucisse végétale » peuvent créer une confusion sur la nature du produit et induire en erreur les acheteurs.
Les partisans de l’interdiction affirment qu’il s’agit d’une question de transparence : selon eux, le consommateur doit pouvoir distinguer clairement les produits carnés des alternatives végétales. « Il ne s’agit pas de brider l’innovation, mais de préserver les repères culturels et linguistiques associés à nos produits d’élevage », argumentent les syndicats agricoles européens.
Une saga réglementaire qui n’en finit plus
Cette décision n’est pas née d’hier. Depuis 2022, plusieurs initiatives similaires ont déjà été déposées en France et dans d’autres pays européens. Le Conseil d’État français avait d’ailleurs été saisi à plusieurs reprises pour statuer sur la légalité de décrets interdisant certaines appellations végétales. Le débat, entre liberté commerciale et protection des dénominations, s’est transformé en véritable bras de fer juridique et économique.
En juillet 2025, la Commission européenne avait elle-même introduit, dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune (PAC), une proposition visant à restreindre l’usage de termes carnés à des produits exclusivement issus de la viande. C’est dans ce contexte que le Parlement européen a repris la main, donnant à cette orientation une portée politique majeure.
Mais pour les acteurs du végétal, cette offensive s’apparente à une tentative de frein à la transition alimentaire, en contradiction avec les objectifs environnementaux affichés par l’Union européenne.
Les acteurs du végétal ripostent : la mobilisation s’organise
Face à cette décision, la riposte ne s’est pas fait attendre. L’entreprise HappyVore, pionnière française des alternatives à base de protéines végétales, s’est immédiatement mobilisée. Aux côtés d’InterVeg et d’une large coalition d’acteurs européens regroupés autour de l’EVU (European Vegetarian Union), elle a lancé le 1er octobre une pétition intitulée No Confusion, déjà signée par plusieurs dizaines de milliers de citoyens.
Pour Guillaume Dubois, fondateur et PDG de HappyVore, l’enjeu dépasse largement la question sémantique :
« Nous n’abandonnerons pas et continuerons à nous battre pour pouvoir proposer des produits végétaux aux consommateurs, et à leur permettre d’avoir des repères. Notre combat continue, en faveur de l’innovation et de la transition alimentaire qui est nécessaire pour réduire notre impact environnemental. Cela n’est plus à prouver. »
Cette déclaration résume la colère d’un secteur qui voit dans cette mesure un retour en arrière au moment même où les politiques publiques encouragent une réduction de la consommation de viande.
Une bataille politique et économique encore ouverte
Si le vote du Parlement européen constitue une première étape décisive, rien n’est encore acté. Le texte doit désormais passer par la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne avant d’être définitivement adopté.
Ce trilogue institutionnel, prévu d’ici la fin de l’année, sera crucial pour déterminer si les dénominations comme « steak végétal » pourront subsister sous certaines conditions ou disparaître totalement de l’étiquetage européen.
En attendant, HappyVore et ses alliés prévoient de poursuivre la mobilisation, notamment par des actions de sensibilisation, des campagnes d’opinion et une coordination accrue avec les associations de consommateurs. Car derrière le débat terminologique, c’est tout un modèle alimentaire qui est en jeu : celui d’une transition vers une alimentation plus durable, plus végétale, et moins carbonée.
HappyVore, symbole d’une nouvelle génération alimentaire
Fondée en 2019 par Guillaume Dubois, HappyVore compte aujourd’hui 150 salariés et est certifiée B Corporation® — un label exigeant reconnaissant les entreprises à impact positif.
Sa mission : aider chacun à réduire sa consommation de viande sans renoncer au plaisir gustatif. Ses produits — burgers, aiguillettes, boulettes ou escalopes végétales — imitent les textures et saveurs de la viande tout en étant pauvres en graisses saturées et respectueux de l’environnement.
Présente dans plus de 7 500 points de vente, 5 000 restaurants, et sur sa boutique en ligne, la marque est devenue un acteur incontournable de la “food tech” végétale en France.
Pour elle comme pour tout le secteur, l’interdiction des dénominations carnées représenterait un coût marketing et logistique colossal : refonte des packagings, perte de repères consommateurs, baisse de visibilité en rayons.
Un symbole de la bataille entre tradition et innovation
Derrière cette polémique se cache un affrontement plus profond : celui entre l’agriculture traditionnelle et l’innovation alimentaire.
Les partisans de l’interdiction défendent la protection du patrimoine gastronomique européen ; les entreprises végétales défendent, elles, une vision d’avenir où la protéine végétale ne concurrence pas la viande mais en complète l’offre, répondant à la demande croissante d’options plus durables.
Ce débat s’inscrit dans une Europe en quête de souveraineté alimentaire, de durabilité et de clarté pour le consommateur. Mais l’ironie est grande : au moment où l’Union européenne encourage la réduction des émissions agricoles, elle risque de fragiliser une filière innovante contribuant à cet objectif.
Vers un compromis ou un blocage idéologique ?
L’avenir des « steaks végétaux » se jouera dans les prochains mois à Bruxelles. Entre les pressions des lobbies agricoles, les impératifs climatiques et la montée en puissance des consommateurs flexitariens, la Commission européenne devra arbitrer un dilemme complexe : préserver les traditions linguistiques ou accompagner la transformation alimentaire du continent.
Une issue de compromis pourrait émerger, autorisant les dénominations végétales sous certaines conditions d’étiquetage. Mais si le texte est entériné en l’état, c’est tout un pan de l’innovation agroalimentaire européenne qui serait ralenti.
Une chose est sûre : qu’on l’appelle « steak végétal », « galette de protéines » ou « pavé gourmet », le mouvement vers une alimentation plus végétale est irréversible. Et l’Europe devra tôt ou tard s’y adapter, sous peine de voir s’échapper la dynamique d’innovation et d’investissement qui nourrit aujourd’hui la transition alimentaire mondiale.
