Une salle d’attente d’un hôpital, froide mais fonctionnelle. Une trentaine de chaises, des tables, des murs blancs, une poubelle dans un angle. Rien de plus, rien de moins.
Ah si, j’oubliais deux distributeurs de boissons l’un fraiches, l’autres chaudes.
Les gens vont et viennent. Certains sont des patients attendant un rendez-vous, d’autres sont des visiteurs venant voir un proche, sans oublier le corps médical et administratif de l’hôpital.
Ceux qui attendent sont souvent anxieux, angoissés, tristes, mais certains ressortent avec le sourire aux lèvres, car les bonnes nouvelles existent. Mais, ils gardent un sourire discret, ils ont presque honte d’avoir eu une bonne nouvelle.
Pourquoi je vous raconte tout cela, je travaille dans cet hôpital, je suis ce que l’on appelle un cadre administratif. Vous parlez parler d’un titre. Je passe mon temps à aller voir les gens, dans cette salle d’attente, pour le faire signer un papier ou compléter un dossier.
Alors, je la connais bien cet endroit, trop bien même. Je croise certains patients, certains visiteurs assez régulièrement.
Mais, il y a une personne qui m’intrigue, qui intrigue tout l’hôpital, que tout le monde connait sans savoir qui elle est.
C’est une femme, à qui on ne donne plus d’âge, mais toujours, apprêtée, élégante. Elle vient depuis tellement longtemps, depuis des années, des décennies. Elle ne doit plus être si jeune que cela, il y a toujours dans son regard, au-delà de la tristesse, des souvenirs de jeunesse.
La salle d’attente ouvre le matin à 9h00 et ferme en fin de journée à 19h00, et cela 7 jours sur 7.
Et bien cette femme est là tous les matins, peu avant l’ouverture et elle repart à la fermeture.
Elle a un sac à main et toujours, un petit paquet venant d’un pâtissier.
Elle ne parle à personne, elle s’assoit toujours sur la même chaise et elle attend, presque sans bouger, en regardant fixement la porte d’où vont et viennent les médecins pour accueillir les patients ou les visiteurs.
A chaque fois que la porte s’ouvre, son regard semble s’illuminer, juste un instant, le temps de se rendre compte que ce n’est pas pour elle.
Une infirmière qui est partie à la retraite il y a quelques années, et qui avait passé plus de 20 ans dans cet hôpital, m’avait dit qu’à son arrivée cette femme était déjà là, avec exactement le même rituel.
A cette époque, certains avait connu le début de ce rituel. Mais, n’en était plus certains, tellement c’était ancien.
A la suite d’un accident, quelqu’un de très proche fut hospitalisée. Elle venait le voir tous les jours, lui apportant son gâteau préféré, même s’il ne pouvait pas le manger, ni même lui parler.
Comme il était dans un secteur de soins intensifs, elle devait attendre qu’un médecin vienne la chercher en salle d’attente, pour l’accompagner.
Mais, une nuit, ce patient est brutalement décédé, d’une hémorragie, alors que tout était stable la veille.
Lorsque cette jeune femme est venue, le lendemain matin, le médecin lui annonça la nouvelle. Elle se mit à hurler, un hurlement qui résonna dans tout l’hôpital. Puis, elle partit sans rien dire.
Elle revint le lendemain et c’est ainsi que le rituel commença. Depuis, maintenant plus de 30 ans.
Elle est toujours restée muette, sans jamais parler à personne. Et lorsque quelqu’un tentait d’approcher, de lui parler, elle restait impassible.
Je parle au passé, car depuis une semaine, elle ne vient plus. J’ai reçu une lettre, qu’elle avait écrit depuis longtemps et confié à un voisin de palier à envoyer à l’administration de l’hôpital après sa mort.
J’ai reçu cette lettre ce matin.
Madame ou Monsieur,
Le 14 avril 1985, mon mari a eu un grave accident sur le chemin de son bureau. Il était bien soigné dans votre hôpital, même si l’espoir d’une guérison semblait impossible. Dans la nuit du 20 avril, il est mort.
Je sais qu’il ne reviendra pas, mais je n’ai jamais voulu admettre, comprendre ce départ brutal. Alors, chaque jour je me dis que les médecins se sont trompés et que quelqu’un viendra me chercher pour aller auprès de mon mari.
Voilà pourquoi, je vous venu chaque jour, sans déranger personne en restant dans mon coin, à regarder la porte des médecins, j’ai attendu sans jamais perdre l’espoir.
Lorsque vous lirez cette lettre, alors vous saurez que je ne reviendrai plus jamais en votre hôpital … je viens de mourir.
Voilà la lettre s’arrête là, sans signature, sans nom. Je sais, mais je ne sais pas qui elle était, je ne connais même pas son prénom.
L’hôpital vient de perdre une inconnue, l’inconnue la plus célèbre de ces lieux.