Deux questions posées à Younss Messoudi, professeur de mathématiques depuis plus de 20 ans.
Le Fonds des Nations pour l’enfance (UNICEF) met en cause une « vision souvent stéréotypée » qu’entretiennent le personnel enseignant, les parents et les autres élèves au sujet de l’incapacité innée des filles à comprendre les mathématiques. Qu’en pensez-vous ?
Younss Messoudi
“En tant que professeur de maths depuis déjà plusieurs années, je suis témoin de ces préjugés et stéréotypes véhiculés et infondés. Depuis leur plus jeune âge, on martèle aux élèves que les garçons sont meilleurs en maths et les filles en français. Et on voudrait que cela n’ait aucune conséquence ?
C’est un peu comme dire que : « les hommes cuisinent moins bien que les femmes ou que les femmes ne savent pas faire de créneaux » : il n’y a aucune preuve scientifique de ces affirmations mais elles sont tenues pour acquises. Et ce sexisme primaire nuit à tous.
Le problème avec ces préjugés c’est, qu’au bout d’un moment, ils prennent vie et s’ancrent dans l’esprit des élèves, des étudiants et de leur entourage et ils finissent par devenir une croyance, une vérité absolue. Conséquence ? Ils affectent négativement les processus d’apprentissage, bien avant même que commence l’exploration de l’univers scientifique.
Mais est-ce-que les garçons sont vraiment plus doués en mathématiques et en sciences que les filles comme le montre la dernière enquête PISA sortie en 2019, les garçons ayant obtenu un meilleur score avec une différence de 7 points ? Cette interrogation alimente des débats depuis des décennies et pourtant la réponse est simple : Il n’y a aucune corrélation entre les aptitudes scientifiques et le sexe des élèves, et il n’y en aura jamais. N’importe quel élève qui se donne les moyens de progresser peut être bon en mathématiques.
Cependant, des critères comme : la confiance en soi dès le début de l’apprentissage, la motivation, la pédagogie et la culture du pays jouent des rôles fondamentaux dans la création de ce que je pourrais appeler : « l’habitude mathématique ». C’est-à-dire, dès leur plus jeune âge, on habitue les enfants aux mathématiques par le jeu, par une approche simple et ludique en dédramatisant cette matière, sans les mettre en situation d’échec, on construit ainsi un cadre qui leur donne confiance en eux et sans qu’ils s’en rendent compte, on les familiarise aux mathématiques.
Et c’est aux parents et aux enseignants justement, d’insuffler une énergie positive à tous les enfants et les élèves sans distinction dès le début de leur apprentissage.
Et en France, les filles sont-elles victimes de ces mêmes stéréotypes ?
Younss Messoudi
Malheureusement, c’est un mythe qui perdure encore aussi en France. Aussi loin que je me souvienne et en puisant dans mon expérience de plus de 20 ans, il y a autant de filles que de garçons qui aiment les maths. Mais c’est un pourcentage qui varie d’une culture à l’autre aussi.
Ce qui est certain, c’est que la sensibilisation positive de l’enfant dès son plus jeune âge à une matière lui fera apprécier ou non cette matière. Les parents jouent eux aussi un rôle crucial dans le fait que l’enfant aimera ou non les maths et sera bon ou non dans cette matière.
Les enfants sont comme une éponge, ils absorbent tout ce qui se passe autour d’eux, les bonnes comme les mauvaises choses. Si on leur répète : « c’est normal que tu ne réussisses pas en maths, tu es une fille », on plante la petite graine de l’échec, du doute et du manque de confiance en eux. « Si c’est parce que je suis une fille que je n’y arrive pas, je n’y peux rien, alors je mets mes énergies dans d’autres matières ».
Ces stéréotypes et préjugés ont la vie dure et ne datent pas d’aujourd’hui. Mon expérience dans l’enseignement des maths m’a permis de voir que les filles sont parfois confrontées à un contexte social où la perception des mathématiques est masculine ; dès le départ les bases sont donc biaisées. Une fois que le terrain de jeu est rééquilibré, elles sont aussi performantes que les garçons, voire meilleures.
Et c’est là que se trouvent les axes à améliorer. A nous, enseignants, d’accompagner les élèves à partir sur de bonnes bases en mathématiques, pour éviter de passer à côté des meilleures mathématiciennes en devenir, en se basant sur de simples croyances.”
Younss Messoudi, professeur de mathématiques depuis plus de 20 ans et fondateur de la plateforme d’aide aux mathématiques www.jai20enmaths.com